La crise du logement touche aujourd’hui tous les Etats européens. La hausse rapide des prix, la rareté du foncier, la spéculation immobilière et le recul de l’intervention publique ont rendu l’accès au logement difficile pour une partie croissante de la population. Dans ce contexte, le logement se transforme progressivement en produit financier, déconnecté de sa fonction sociale.
Face à cette situation, de nouvelles solutions émergent pour garantie un logement accessible et durable. Elles reposent sur deux dynamiques complémentaires. D’un côté le développement d’alternatives qui repensent la propriété pour la rendre non spéculative et de l’autre, la mobilisation de mouvements citoyens et d’acteur·rice·s locaux.les pour renforcer les droits, protéger les ménages et réguler le marché.
L’élan de ces démarches visent à réaffirmer que le logement n’est pas un actif économique mais un droit fondamental et un bien d’usage essentiel.
Des alternatives pour une propriété non spéculative
Tout d’abord, pour répondre à la crise de l’accès au logement, un « troisième secteur » se développe, au croisement de la location traditionnelle et de la propriété individuelle. Celui-ci propose des formes de propriété non spéculative, durables et solidaires.
On peut dès lors distinguer deux modèles alternatifs. Le premier consiste à dissocier le foncier du bâti. On peut prendre l’exemple des Community Land Trust ou des Organismes Fonciers Solidaires (OFS): le terrain est détenu par une structure à but non lucratif et l’habitant n’achète que le bâtiment via un Bail Réel Solidaire. Cette démarche vise à réduire le coût d’accès de 30 à 50 % et de garantir une revente encadrée afin d’éviter la spéculation, tout en offrant une sécurité résidentielle durable.
Le second modèle repose sur les coopératives d’habitation. Les ménages mutualisent leurs moyens pour détenir des parts sociales d’une coopérative propriétaire de l’immeuble. Ainsi, avec des emprunts à long terme, ces coopératives proposent des redevances plus abordables. Elles garantissent l’absence de plus-value à la revente et permettent de loger des ménages en centre-ville. On retrouve ce modèle en Suisse ou encore en Espagne. Il y a ici la volonté d’assurer une sécurité résidentielle solide et une gestion participative par les habitant·es eux/elles mêmes.
Des mobilisations citoyennes pour une meilleure régulation du marché immobilier
En parallèle, de nombreux mouvements citoyens se mobilisent pour défendre un droit au logement effectif et exiger une régulation renforcée du marché immobilier. Les revendications portent sur des enjeux structurels : une consolidation du logement public et social en stoppant les privatisations, un investissement massif dans la construction et la rénovation, une lutte contre la vacance grâce à une fiscalité dissuasive et la possibilité de réquisitionner les immeubles inoccupés, un encadrement des loyers et enfin un renforcement des droits des locataires.
Ces organisations demandent également une meilleure protection des ménages en difficulté par une limitation des expulsions et une révision des dispositifs liés aux défauts de paiement.
Plusieurs mouvements à l’échelle européenne luttent ainsi contre la financiarisation du logement. En Espagne, des actions ont été menées contre les expulsions et les fonds d’investissement. En Grèce, des collectifs ont bloqué des enchères immobilières. D’autres collectifs en Allemagne, Italie ou encore Serbie ont dénoncé la vacance des logements et la gentrification excessive de certains endroits. Ces groupes développent des stratégies transnationales pour renforcer la solidarité.
Limites et contraintes de ces alternatives
Il convient cependant de garder en tête que ces alternatives et ces mouvements se heurtent à plusieurs obstacles qui limitent leur déploiement à grande échelle.
Le cadre institutionnel et juridique est inadapté. Les coopératives d’habitation rencontrent des difficultés d’accès au financement en raison de garanties bancaires non adaptées. De plus, les politiques publiques privilégient des outils tels que le prêt à taux zéro ou des dispositifs fiscaux qui ne s’attaquent pas aux causes structuelles de la crise de l’accès au logement. Toute mesure limitant la valorisation du patrimoine est limitée par une forte résistance tant la propriété privée est vue comme un droit individuel absolu.
Ces initiatives sont entravées aussi par des contraintes d’échelle. Elles logent un nombre assez restreint de ménages. Dans certains, les procédures d’agrément créent un risque d’entre-soi. Pourtant, un des modèles les plus abouti est celui de Vienne, ce qui en fait un modèle assez unique en Europe. Dans la capitale autrichienne, environ 60% des habitant·e·s vivent dans des logements municipaux ou coopératifs, garantissant de fait des loyers abordables, des contrats sécurisés et une mixité sociale. Ce succès repose sur une vraie volonté politique menée par les sociaux démocrates depuis les années 1920. L’accès est transparent via une plateforme centralisée, ouverte même aux résident·es étranger·es, et le système offre une grande stabilité résidentielle. Le modèle est soutenu aussi par une construction régulière et une politique de préservation des grands ensembles. Cependant, un changement de gouvernance pourrait fragilisé le système mis en place.
Enfin, le marché de l’immobilier est devenu globalisé rendant la régulation plus difficile. Les réglementations locales notamment celles en lien avec le tourisme de court durée peinent à être appliquées face à des plateformes puissantes et relativement peu coopératives. Au niveau européen, les politiques sociales sont peu contraignantes. Elles sont largement établies dans une logique de concurrence qui s’impose aux Etats membres.
Ainsi, aujourd’hui le logement semble être transformé en actif financier soumis à la spéculation, au détriment de sa fonction sociale. Les alternatives de propriété non spéculative et les mobilisations citoyennes montrent qu’il est possible de réaffirmer le logement comme un bien d’usage et droit fondamental. Une transformation durable du système demande une intervention publique plus importante, capable de placer le logement au service de la collectivité et non du profit.