Le récit territorial comme outil pour réinventer l’action publique

Aujourd’hui, les collectivités font simultanément face aux incertitudes économiques, sociales et écologiques. Le récit territorial s’impose alors comme un outil stratégique. Loin d’un simple slogan ou d’une opération marketing, il s’agit d’une narration collective, presque vivante, construite par les élu·es, les habitant·e·s, les associations et autres organes économiques, qui sont toutes et tous relié·e·s sur un même territoire.

Le récit territorial donne du sens à l’action publique. Il fait bien plus que raconter. De fait, il fédère et mobilise. Véritable matrice d’action, parfois qualifiée de « contrat narratif », il précède et oriente les documents de planification, donne une cohérence aux projets et permet de dépasser l’empilement de dispositifs techniques.

L’idée est de permettre aux territoires d’affirmer leur singularité en réinventant leurs propres trajectoires.

Un outil politique fondé sur la parole et les imaginaires

Le récit territorial se fonde sur des représentations collectives qui orientent en profondeur les politiques publiques.

Historiquement, les sociétés se construisent à travers des récits qui donnent du sens au monde, façonnent les croyances et organisent les comportements. Pour reprendre les mots de l’écrivain américain Richard Powers, « on ne convainc pas qu’avec des arguments mais par des bonnes histoires ».

Le récit conditionne la manière dont un territoire se voit et se projette. Il irrigue l’imaginaire collectif. Cette démarche permet aussi de déconstruire certaines idées et d’en reconstruire d’autres. Il est en ce sens possible de se défaire des discours défendant par exemple la croissance infinie ou du progrès technique comme seule source de changements,  pour en faire émerger d’autres.

Cependant, le récit peut aussi être source de tensions dès lors que le rôle des mémoires rentre en jeu. Il est important de noter que le récit n’est pas figé. C’est un processus évolutif qui se nourrit, en quelque sorte, de la parole des citoyen·ne·s. On peut parler de « démocratie narrative » pour la production d’un récit collectif qui ne soit pas instrumentalisé. 

Une aide pour piloter les transitions

Pourquoi faisons-nous projet ensemble? Pour de nombreuses collectivités, le récit territorial permet d’aligner de nombreux·ses acteur·rice·s provenant de divers secteurs sur des mêmes stratégies locales.

Ce travail sur les imaginaires s’inscrit parmi les leviers de transformation systémique les plus puissants identifiés par l’écologue Donella Meadows. Agir sur les récits, c’est agir sur les modèles mentaux qui conditionnent les décisions publiques et les aspirations collectives. Le sentiment d’appartenance se renforce et permet de mieux orienter l’action en direction des objectifs visés.

Les acteurs de l’économie sociale et solidaire (ESS) peuvent trouver dans cette démarche un moyen de réaffirmer leurs racines, de valoriser les pratiques solidaires historiques, et de renouveler les formes d’entrepreneuriat local.

Des expérimentations qui changent les regards

Ainsi, à Raismes, commune de la Région Hauts-de-France, ville minière marquée par un héritage industriel, le récit territorial a permis de valoriser les ressources locales, révélant l’importance d’une vie associative dense. Ceci a servi de socle au projet « Raismes 2032 », issu de concertations citoyennes, permettant de monter divers projets écologiques, sociaux, économiques à l’horizon 2032.

Dans la communauté d’agglomération du Boulonnais (Hauts-de-France), territoire maritime de 22 communes, les récits collectés ont montré la force de la coopération, un bénévolat massif et une culture de solidarité issue de l’économie de la mer. En effet, le territoire dispose d’atouts majeurs tels que le littoral, l’arrière-pays, un  potentiel touristique et des pratiques coopératives. Cependant, il fait face à des défis structurants, notamment la fuite des jeunes et des savoir-faire. Les habitant·e·s ont dû faire preuve de résilience, d’innovation. Le récit territorial a mis en avant la nécessité de transformation en mobilisant l’ensemble des acteur·rice·s du territoire tout en renforçant l’ESS.

Le récit territorial renforce aussi la confiance, la fierté collective ou encore le sentiment d’appartenance. Ces éléments, bien que difficile à quantifier, renforcent la coopération.

La mise en récit demande du temps. Il nécessite des ressources dédiées et une vigilance continue afin de préserver sa qualité et son inclusivité. Il importe en ce sens d’éviter la standardisation des récits, la captation par quelques acteurs, le repli identitaire.

Malgré tout, cette démarche apparaît aujourd’hui comme une compétence essentielle de l’animation territoriale, ouvrant la voie à des réseaux régionaux, des ressources partagées et à des outils pratiques permettant aux collectivités de co-construire des projets cohérents, inclusifs et durables.

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